Privileged Conversations: Montee des Accords d'Independance

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Giuseppe Marletta est le directeur général d'Europe chez ACC.
Veronica Pastor est le directrice juridique adjointe d'ACC.

Giuseppe Marletta, directeur général d'Europe chez ACC, rencontre Veronica Pastor, directrice juridique adjointe d'ACC, dans le cadre de la série Privileged Conversations d'ACC. Privileged Conversations traite de l'importance du secret professionel pour les juristes d’entreprise, un sujet sur lequel ACC et Veronica en particulier ont largement plaidé. Les questions clés de la discussion sont les suivantes : que sont les accords d'indépendance, où se situent-ils dans le tableau global du secret professionnel, et sont-ils vraiment le meilleur moyen de garantir que le secret professionnel reste un moyen d'équilibrer les intérêts privés des clients avec l'intérêt public dans le règle de loi? 


Privilège légal

Veronica Pastor: Merci Giuseppe. Le secret professionnel est l'une des pierres angulaires de la profession légale, et les accords d'indépendance sont apparus comme une voie médiane entre les juridictions qui estiment qu'il est impossible pour un juriste salarié d'agir de manière indépendante et celles qui considèrent l'indépendance comme faisant partie intégrante de la profession juridique.

Marletta: Alors, Veronica, qu'est-ce que le secret professionnel et comment se joue-t-il dans le contexte de in-house? 

Pastor: Le secret professionnel fait référence au principe selon lequel les communications entre un juriste et son client méritent une protection spéciale contre la divulgation, et qu'assurer la confidentialité de ces échanges est dans l'intérêt public. C'est dans l'intérêt public parce que les juristes sont, par essence, des représentants de la justice et de la primauté du droit dans le travail qu'ils accomplissent. Tous les juristes jurent (et c’est bien de la que vient le mot « juriste ») de respecter la loi du pays lors d'une cérémonie solennelle au début de leur carrière. En même temps, les juristes ont également le devoir de représenter fidèlement leurs clients. Cela crée une tension, car il peut y avoir des cas où ces deux obligations entrent en conflit. Les procédures pénales en sont un exemple évident, mais la question se pose également dans la pratique quotidienne en interne lorsque les juristes sont appelés à donner des conseils et des orientations juridiques sur des questions commerciales ou de conformité.

Marletta: Et comment le secret professionnel joue-t-il dans le travail d’un juriste d'entreprise?

Pastor: Au cœur du droit au secret professionnel se trouve l'idée qu'un juriste doit exercer et en fait exerce son devoir de faire respecter la loi indépendamment de ses intérêts financiers. Cela signifie que lorsqu'on demande à un juriste d'être complice d'un crime ou d'une fraude ou de tout comportement illégal, le juriste doit refuser de participer et ne peut donner aucun conseil qui ferait avancer une ligne de conduite illégale ou contraire à la déontologie. Et c'est là que la question se complique pour les juristes d'entreprise. En tant que juristes d'entreprise, nous n'avons qu'un seul client, avec lequel nous entretenons un lien économique et professionnel fort. Et puis la question devient en fait comment un juriste peut-il servir à la fois la Justice et son client avec une force égale ? Comment un juriste employé par une entreprise peut-il trouver le juste équilibre entre l'exercice de son devoir d'indépendance - c'est-à-dire le respect de la loi - et en même temps la défense avec zèle des intérêts de son entreprise/employeur sans être influencé par le fait que son gagne-pain et son niveau de vie dépendent directement de cette relation de travail?

Marletta: Différentes juridictions ont répondu à cette question difficile de différentes manières, allant de "ce n'est tout simplement pas possible" à "l'indépendance est garantie par la loi". En France, par exemple, il existe une ligne de démarcation entre les conseils juridiques d'entreprise et les avocats en pratique privée inscrits au barreau. Le privilège ne s'attache qu'à la pratique dans un cabinet d'avocats. La justification de cette distinction repose sur l'argument selon lequel un juriste d'entreprise ne dispose pas de l'indépendance requise pour exercer une fonction de représentant de l'État de droit au sein d'une entreprise en raison de sa dépendance économique vis-à-vis de son employeur. Et en France, les allers-retours ne sont pas faciles, au point que lorsqu'un avocat décide d'intégrer un service juridique interne, il doit renoncer à l'inscription au barreau et perd le droit au secret professionnel qui va avec. L'Espagne, par contre, a adopté une législation qui dit qu'un juriste est un juriste est un juriste, quel que soit l'endroit où il pratique, et que par conséquent le secret professionnel fait partie intégrante du métier de juriste. C'est bien sûr la position que les juristes américains connaissent le mieux. Notre discussion porte sur les accords d'indépendance, que tu as décrits tout à l'heure comme une voie médiane. Alors, qu'est-ce qu'un accord d'indépendance et d'où vient-il?

Pastor: Entre ces deux approches, il y a un voie médiane, et c'est l'accord d'indépendance. Ce modèle a été mis en évidence récemment dans une plaidoirie devant la Cour suprême des Pays-Bas – Procureur général contre Royal Dutch Shell. L'affaire résultait d'une enquête pénale internationale impliquant le travail de juristes dans plusieurs bureaux de Shell dans divers pays européens. Les Pays-Bas ont adopté l'accord d'indépendance comme cette voie médiane. Les juristes néerlandais qui exercent en interne peuvent se prévaloir de la protection du secret professionnel à condition qu'ils aient signé un accord privé avec leur employeur dans lequel l'employeur garantit l'indépendance du juriste. Ceci est également connu sous le nom de statut Cohen. Dans cette affaire, ACC a demandé au tribunal de reconnaître qu'au moins certains des juristes de Shell fonctionnaient selon l'hypothèse tout à fait raisonnable que leur travail était protégé par le secret professionnel, dans la mesure où leur juridiction d'origine reconnaissait le secret professionnel de l'avocat pour les juristes internes.

Au cœur du privilège juridique se trouve l'idée qu'un avocat doit exercer et exerce son devoir de faire respecter la loi indépendamment de ses intérêts financiers.

En fin de compte, le tribunal a déclaré que la reconnaissance du secret professionnel s’applique aux juristes internes de la même mesure que pour les avocats externes. Mais pour bénéficier de cette protection, le juriste interne doit être aussi libre que le juriste externe de fournir des conseils indépendants et, en particulier, être exempt de tout conflit d'intérêts entre ses devoirs professionnels de juriste et ses devoirs en tant que salarié de l'entreprise. Pour prouver leur indépendance, les juristes internes qui travaillent aux Pays-Bas - y compris les juristes étrangers - doivent avoir conclu un accord d'indépendance. Pour les juristes étrangers dont le travail fait l'objet d'une demande de discovery aux Pays-Bas, c'est un peu plus compliqué. Ils doivent prouver que leur juridiction d'origine et les Pays-Bas reconnaissent le secret professionnel pour type de travail en question et qu'ils ont conclu un accord de type Cohen Statuut dans lequel l'employeur s'engage à respecter le devoir du juriste d'observer les règles de déontologie professionnelle et de conduite, y compris celles relatives à la confidentialité.

Marletta: Dans la bibliothèque de ressources juridiques de l'ACC, vous pouvez trouver quelques modèles d'accords d'indépendance du type dont parlait probablement la Cour suprême des Pays-Bas. La Cour a donc souscrit en partie à la position de Shell et de ACC et, ce faisant, deux choses se sont produites : elle a clarifié le statut du conseil d'entreprise vis-à-vis le respect du secret professionnel, du moins aux Pays-Bas, et elle a ouvert une discussion sur la meilleure façon d’ équilibrer les intérêts privés des clients avec l'intérêt public de l'Etat de droit dans le cadre de la pratique juridique interne.

Pastor: Oui, je pense que c'est juste à dire.

Marletta: Mais ACC pense que les accords d'indépendance ne vont pas assez loin. Elle a fait une déclaration publique à cet effet dans les médias sociaux. Elle dit que même si les accords d'indépendance sont un pas dans la bonne direction, ils ne sont pas sans problèmes. ACC a demandé la reconnaissance du secret professionnel pour le travail des juristes d'entreprise qui sont membres d'un barreau national comme découlant des mêmes devoirs et droits que les autres formes de pratique juridique. ACC soutient également l'extension de cette protection aux juristes étrangers qui remplissent les mêmes conditions que les juristes nationaux. ACC affirme que la reconnaissance du secret professionnel interne sur un pied d'égalité avec le secret du cabinet d'avocats est à la base une question favorable aux entreprises et à la concurrence mondiale. Peux-tu nous expliquer cela?

Pastor: Lorsque les juristes internes n'ont pas accès à la protection du secret professionnel, leurs entreprises sont désavantagées sur la scène mondiale. C’est ce que nous disent nos membres. Ils nous disent que dans les affaires contentieuses, les entreprises ressortissantes de juridictions où le secret professionnel de juristes internes n’est pas reconnu, comme notamment la France, se voient nettement désavantagées en matière de discovery vis à vis celles de pays où cette protection est reconnue. C'est un aspect, mais il y en a deux autres. Le premier est que l'absence de secret professionnel interne oblige les entreprises à embaucher des avocats externes, à un coût important, pour un travail qui pourrait être fait et , et plus vite, et de façon plus rentable par leur propre service juridique. Et cela a également un impact sur le recrutement et la rétention des talents juridiques dans les entreprises multinationales. Les juristes d’entreprises qui se trouvent dans un pays qui ne protège pas leur secret professionnel constateront qu'ils ne sont pas assignés aux affaires multinationales les plus importantes, les plus difficiles et les plus intéressantes. Cela affecte bien sûr leurs possibilités d'avancement. Et le corollaire est que les juristes les plus talentueux, ceux qui ont le plus de potentiel, chercheront à se déplacer vers d'autres juridictions. Au point que certaines entreprises choisissent de délocaliser l'ensemble de leur service juridique.

Marletta: Merci Véronica. Je suis Giuseppe Marletta et voici "En bref - Mise à jour sur l’Advocacy" de ACC sur la montée des accords d'indépendance en tant qu'instrument de protection du secret professionnel pour les juristes d’entreprise. Nous espérons que vous avez aimé ce programme. Nous espérons vous revoir bientôt dans l'un de nos programmes!